Solitude et Covid 19 : phénomène de société et enjeu de santé

par le Docteur Didier Potier, conseiller médical de la MSM

L’épidémie de Covid-19 a bouleversée notre vie personnelle et sociale : fermeture des écoles, télétravail, chômage, promiscuité dans les logements, fermeture des espaces de culture, de sports, de loisirs collectifs. Nous vivons sous la menace d’un virus qui peut être mortel pour les plus fragiles d’entre nous. Malgré les espoirs apportés par les vaccins, prévoir une date de retour à une vie normale est impossible. La solitude - déjà dénoncée comme la maladie du XXIe siècle - ne peut que s’aggraver et cette « anormalité » ne peut pas être sans conséquence sur notre santé. En effet, psychologues et sociologues nous rappellent que l’homme ne peut ni se construire ni vivre seul : il se construit par la sociabilisation dans un besoin vital de protection et de reconnaissance. C’est pourquoi le plus souvent la solitude est synonyme de mal-être.

1. La solitude, phénomène de société

Des définitions

S’il n’y a pas actuellement de vrai consensus sur la définition de la solitude, certains auteurs distinguent trois facettes interdépendantes de la solitude.

  • « Vivre seul » : être « monorésident » est un mode de vie subi ou assumé.
  • « Être seul » : dans cette perspective, la solitude est définie par la relation à l’autre. La solitude est le manque de relation à l’autre. Elle est proche de l’isolement relationnel, concept qui peut être évalué et mesuré. On peut « vivre seul » mais ne pas « être seul » ainsi que son contraire.
  • « Se sentir seul », c'est-à-dire le sentiment de solitude, apporte une dimension subjective et qualitative importante aux deux premières approches. Il est en effet possible de « vivre seul » sans « se sentir seul » ainsi que l’inverse. Cette différence permet de distinguer les solitudes « choisies » des solitudes « subies ».

Quelques chiffres

Depuis 2010, l’Observatoire de la Philanthropie (créé par la Fondation de France) enquête chaque année sur la solitude en France. Dans ces enquêtes l’isolement social est évalué suivant 5 dimensions : famille, amis, voisins, membres d’une association ainsi que collègues de travail pour les actifs occupés. Une personne (âge > 15 ans) est déclarée « isolée » lorsque qu’elle n’a aucune relation dans chacune de ces dimensions et en « fragilité sociale » quand elle n’a des relations que dans une dimension.

Le bilan sur 10 ans montre que l’isolement relationnel croit au cours des années (graphique 1). En 2020, 1/3 de la population française se trouvait en situation d’isolement ou de fragilité relationnel. Les réseaux relationnels les plus investis par les Français en 2020 sont dans l’ordre : le réseau amical, familial, de voisinage, associatif et professionnel. Cette hiérarchie a évolué car , en 2010, les relations de voisinage étaient en 2e place et les relations du cercle associatif ou professionnel beaucoup plus importantes. La place des relations amicales est restée stable et celle des relations familiales a progressé.

Le graphique 2 montre qu’il n’y a pas de correspondance entre l’isolement relationnel et le sentiment de solitude et qu’il existe :

  • une adaptation (résignation ?) des individus isolés à leur état telle qu’ils n’en ressentent plus l’anormalité (de 33 % en 2013, ils ne sont plus que 21 % en 2020 à ressentir une sentiment de solitude),
  • un fort sentiment de solitude chez les personnes non isolés socialement (20 % de ceux-ci ont un sentiment de solitude).

Si l’isolement social touche plus de 7 millions de français, plus de10 millions éprouvent un sentiment de solitude et ce sentiment est presque aussi partagé par les personnes objectivement isolées que les autres.

Des causes multiples

Depuis un demi-siècle, la valorisation de l’individu, de la performance et de la réussite ont entrainé pour les plus vulnérables un sentiment d’insécurité et une perte de reconnaissance. Comme l’écrivait le sociologue R. Castel en 2011 : « Le commandement d’être un individu, adressé à tous, risque de se retourner en son contraire en disqualifiant un nombre croissant d’entre eux ».

Chaque année, le même constat est fait par l’Observatoire de la solitude : le niveau socio-économique est le déterminant majeur de la solitude. Les personnes en situation de précarité financière et de faible niveau d’études vivent un isolement social et ont un fort sentiment de solitude. Cette faible sociabilisation a de nombreuses explications :

  • La pauvreté entraine des restrictions dans les loisirs (activité culturelle, sport, vacances...) et diminue donc les occasions de sociabilité. Elle limite les achats d’outils numériques (couteux et rapidement obsolètes).
  • L’acculturation entraine un faible usage des équipements culturels (bibliothèques…) et des outils informatiques.
  • Le sentiment d’exclusion entraine un repli sur soi, une méfiance par rapport à la « société ».

Il faut cependant souligner que la hausse de l’isolement relationnel depuis 10 ans est particulièrement forte dans les classes les plus élevées. Si le lien entre fragilité économique et faiblesse des contacts physiques reste vrai, l’isolement n’est plus uniquement le sort des individus précaires. Comme l’isolement, le sentiment de solitude est aussi lié à la précarité mais est partagé par l’ensemble de la population française.

La notion de rupture, de perte dans le parcours de vie est le deuxième déterminant important : expérience traumatisante de l’enfance, séparation du couple, décès d’un proche, départ des enfants (surtout dans les familles monoparentales), maladie et perte d’autonomie, perte du travail, déménagement, violences et agressions. C’est un déterminant primordial de l’isolement et surtout du sentiment de solitude.

Beaucoup d’études insiste sur le cercle vicieux, l’impasse de l’isolement social. Plus on est isolé, moins on est heureux, plus on se culpabilise, on a honte, plus on se replie sur soi et plus on est isolé...

En 2020, ni le sexe, ni la situation familiale ou conjugale ne sont des marqueurs de l’isolement relationnel. Si 25 % des isolés vivent en solo, l’écart n’est que de 2 points avec les non-isolés  (23 %). Les femmes ont plus de relations familiales que les hommes. En revanche, concernant le sentiment de solitude, les femmes et les personnes vivant seules expriment plus souvent ce ressenti que les hommes (23 % contre 16 %) et les personnes vivant en couple. L’isolement touche tous les territoires, urbains ou ruraux, quelles que soient les régions et cela aussi bien en 2010 qu’en 2020. L’idée selon laquelle vivre à la campagne favoriserait la vie relationnelle parait donc erronée.

Focus

Quelques situations méritent un commentaire particuliers.

Le taux des 15-30 ans isolés a fortement progressé en 10 ans : de 2 % en 2010, il est passé à 13 %. L’explication avancée est leur précarisation croissante. Les jeunes ont des relations familiales et amicales beaucoup plus importante que la moyenne de la population. Contrairement à une idée reçue, il semble que les jeunes isolés sont moins consommateurs d’alcool et de cannabis et que leur consommation d’écran est identique aux autres jeunes. Les jeunes isolés ont un sentiment de solitude à peine plus élevé que l’ensemble des 15-30 ans.

Avec l’âge, l’isolement social augmente : le taux de personnes âgées (PA) isolées est bien supérieur à celui de la population générale. Comme pour les jeunes, il a très fortement progressé ces 10 dernières années, passant de 16 % à 33 %. Il faut cependant remarquer que, si l’isolement objectif des PA est important, leur sentiment de solitude l’est beaucoup moins.

La pratique des réseaux sociaux et des contacts à distance ne compensent pas l’absence de relations présentielles : moins il y a de contact direct, moins il y a de contact à distance (courrier, téléphone…). Les personnes aux faibles ressources, plus isolées, sont moins bien formées, équipées et utilisatrices des outils numériques. Cependant, la communication à distance peut, chez certains (isolement du fait d’un handicap, par exemple) avoir une grande importance car elle reste la seule possibilité matérielle de communiquer

Si les aidants ne sont pas objectivement isolés, ils expriment fortement un sentiment de solitude (35 % contre 19 % pour la population générale) et ils se sentent paradoxalement plus exclus, abandonnés, inutiles. Ceci pourrait être dû à leur manque de reconnaissance, leur épuisement, leur culpabilité (" Fais-je tout ce que je devrais faire ? ").

L’expérience négative de la solitude n’a cependant rien d’inéluctable : les « isolés » s’adaptent et ne se plaignent pas plus de la solitude que les « non-isolés ». S’agit-il d’une adaptation ou d’une résignation ? Il y a aussi les solitudes revendiquées.

Isolement, solitude et Covid-19

Les mesures prises pour lutter contre l’épidémie (confinements, couvre-feu, fermeture des lieux de rencontre et de loisirs) ont renforcé l’isolement mais aussi favorisé la précarité (chômage) donc la solitude. Les personnes isolées, souvent les plus mal-logées, en chômage et sans école pour les enfants pendant les confinements, ont vu leurs conditions de vie se dégrader. Mais le confinement a aussi provoqué un vaste mouvement de solidarité qui s’est surtout manifesté dans les relations de proximité (famille, amis, voisins). Cet élan de solidarité se prolongera-t-il ?
Paradoxalement, pendant le confinement, le sentiment de solitude a diminué chez les isolés. Une explication serait que, étant habitués à l’isolement, ils s’y sont accoutumés plus facilement.

2. La solitude : enjeu de santé

L’isolement et la solitude ont des impacts sur la santé de la population, impacts probablement majorés sur sa frange la plus vulnérable et exacerbés par les bouleversements induits par la covid-19. Cet impact se retrouve dans l’accès aux soins, la santé mentale, les troubles du comportement et la santé physique.

L’accès aux soins

Le renoncement aux soins touche plus fortement les plus isolés pour des raisons financières, de mobilité, de mauvaise estime de soi. Ce renoncement a été particulièrement majoré pendant le 1er confinement avec l’injonction répétée « Restez chez vous ».

La santé mentale

Avant la pandémie, 42 % des isolés ne se sentaient pas (ou pas souvent) heureux contre 32 % des non-isolés et 31 % des isolés se sentaient abandonnés, exclus, inutiles contre 27 % des non-isolés.La satisfaction de vie actuelle, dégradée au début du 1er confinement, s’était progressivement améliorée à la fin de celui-ci. Elle s’est depuis stabilisée mais reste inférieure à celle observée avant l’épidémie. Les mêmes constations sont faites pour les troubles du sommeil, l’anxiété, la dépression. Il faut aussi noter que ces difficultés touchent aussi les enfants mais dans une moindre mesure. L’isolement peut provoquer, y compris chez des sujets sains des troubles psychotiques à type d’hallucinations ou de paranoïa.

Les comportements

  • Tabac
    27 % des fumeurs ont déclarés avoir augmenté leur consommation de tabac depuis le confinement. Ils étaient quasiment tous déjà fumeurs avant le confinement. L’augmentation de la consommation de tabac est liée à l’anxiété et la dépression. Les raisons mentionnées par les fumeurs déclarant avoir augmenté leur consommation étaient dans l’ordre : l’ennui, le manque d’activité, le stress, le plaisir.
  • Alcool
    11 % des usagers d’alcool ont déclaré une augmentation de leur consommation d’alcool avec le confinement. Les raisons invoquées sont les mêmes que pour le tabac (le plaisir venant en premier).
  • Alimentation 
    27 % des personnes interrogées pendant le 1er confinement déclarent avoir pris du poids.
  • Activité physique
    47 % des personnes interrogées ont déclaré avoir diminué leur activité physique et 61 % avoir augmenté leur temps quotidien passé assis pendant le 1er confinement. La diminution de l’activité physique et la hausse du temps passé assis étaient associées à l’anxiété, à la dépression ou à des troubles du sommeil déclarés pendant le confinement.
  • Temps d’écran des enfants
    Pendant le 1er confinement, en dehors du travail scolaire, les enfants ont consacré en moyenne 2h45 par jour aux écrans, 1h45 à la lecture, aux activités artistiques et aux jeux de société, et plus de 2h aux activités physiques et sportives. Les écrans ont représenté plus de 2/3 du temps total de loisir pour 13 % des enfants.
  • Violences (femmes et enfants)
    La plate-forme de signalement en ligne des violences sexuelles et sexistes a enregistré une hausse de 40 % des appels de victimes pendant le 1er confinement et 60 % pendant le deuxième. La part des admissions hospitalières pour violence physique, des enfants de 0 à 5 ans, a augmenté de 50 % pendant les mois de mars et avril 2020 par rapport aux mêmes périodes des années précédentes. Sans parler de violence, 10 % des Français avec enfants signalent que leurs relations avec ces derniers se sont dégradés.
  • La santé physique
    Les relations entre isolement et pathologies organiques sont complexes. L’isolement est lié à la précarité et la précarité est liée à un plus mauvais état de santé. Donc isolement social et troubles de la santé physique sont liés. Cela se vérifie particulièrement pour les pathologies cardio-vasculaires et cancéreuses et nombre de pathologies où la qualité de vie et l’environnement jouent un grand rôle.
  • Paradoxe
    Dans les valeurs assurant la cohésion sociale, les français plébiscitent les « efforts pour vivre ensemble » et c’est ce qui s’est passé pendant les confinements. Les salariés « de seconde ligne » (hôtesses de caisse, livreurs, éboueurs) habituellement oubliés ont été valorisés (même si ce n’est que sur un plan symbolique) ainsi que les soignants.

L’isolement qui avait plutôt un caractère négatif, asocial, est devenu une norme et même un moyen de lutte contre l’épidémie. Les isolés ne se sont plus sentis aussi exclus, ainsi que le rapportait un patient psychotique : « Les autres sont obligés de vivre comme je vis depuis toujours ». Ainsi, face à cette menace extérieure, la cohésion sociale a été renforcée. Cela durera-t-il ?

3. Les solutions

Comme il a été dit de nombreuses fois, isolement et précarité sont liés. Lutter contre l’isolement, c’est d’abord une lutte contre la précarité. C’est principalement le rôle de l’état et des associations. Cela nécessite une volonté politique, des financements et des acteurs de terrain. Mais c’est aussi agir ici et maintenant, ensemble (service publics, associations, citoyens), comme le rappelle Cécile Van de Velde, interrogée par la Fondation de France, qui définit 5 axes d’actions solidaires.

  • Rejoindre
    Rejoindre c’est aller à la recherche des isolés, ceux qui ne feront jamais le premier pas. Cet « aller vers » est, par exemple, à la source de l’action de l’association « Aux Captifs la Libération  ».
  • Écouter
    Pour exister, il faut être entendu. Avoir en face de soi un interlocuteur en capacité d’écoute est la première nécessité. Tout le monde a quelque chose à dire, un témoignage à apporter. L’aide passe d’abord par la reconnaissance de l’autre. C’est dans ce cadre que les « psy » et tous les aidants se sont aperçus de l’intérêt majeur de la téléconsultation alors que, au début, ils pensaient que l’absence de face à face serait un obstacle à cette écoute.
  • Faire participer
    Pour être reconnu, briser le sentiment d’inutilité, il faut avoir un rôle. C’est la phrase fondatrice de l’abbé Pierre « Je ne peux rien te donner. Mais, toi qui n’as rien, au lieu de mourir, viens m’aider à aider ».
  • Relier, rassembler
    C’est le rôle du mouvement associatif dans un double objectif : a) rassembler les membres du réseau dans une action commune,  b) casser les exclusions
  • Soutenir, aider
    De nombreux exemples peuvent illustrer cette approche : aider mais aussi former à l’accès au numérique, faciliter les transports, aider les aidants : accueil de jour et hébergement temporaire

Les sociologues distinguent deux dimensions à la solitude : celle objective de l’isolement relationnel (social) qui est évaluée par le nombre de contact avec l’entourage dans un temps donné ; et celle subjective du sentiment de solitude. Les enquêtes montrent que l’isolement relationnel croit fortement depuis 10 ans et que, en 2020, il touche 14 % de la population française soit plus de 7  millions de français. Le sentiment de solitude suit une évolution différente : au cours de ces 10 dernières années, il a diminué chez les individus objectivement isolés et augmentés chez ceux sociabilisés. De ce fait, en 2020, le taux d’individus se sentant seul est quasiment identique (autour de 20 %) dans les deux populations.

Toutes les études confirment que vulnérabilité (précarité, maladie, handicap, âge…) et isolement social sont fortement corrélés. Les ruptures dans les parcours de vie sont aussi un facteur important de cet isolement. Depuis le début de la pandémie de Covid-19, les mesures de restriction (confinement, couvre-feu, fermeture des lieux publics), la précarité (chômage) et les ruptures (maladie) induites par l’épidémie ont majoré l’isolement et le sentiment de solitude. La solitude est un phénomène de société.

Cette solitude a de nombreuses conséquences tant sur la santé mentale et physique que sur les comportements. La solitude favorise les troubles du sommeil, l’anxiété, la dépression, les addictions, les troubles des conduites alimentaires, les violences. Depuis le 1er confinement, il a été prouvé une exacerbation de ces troubles. Les enfants ont aussi pâti de ces mesures : le temps passé devant un écran a augmenté ainsi que les troubles du sommeil. De nombreuses pathologies (cardiaques, cancer, …) sont liées à la précarité qui est elle-même corrélée à la solitude. Mais il est difficile d’affirmer si précarité et/ou solitude sont la cause ou l’effet de certaines maladies. La solitude est aussi un enjeu de santé.

Lutter contre la solitude c’est à la fois de la prévention (lutter contre la précarité) et de la solidarité : aller vers l’autre, l’écouter, le reconnaitre, l’insérer et l’aider. C’est l’affaire de l’état, des associations et des citoyens.

Sources

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